Mort d'un personnage by Giono

Mort d'un personnage by Giono

Auteur:Giono
La langue: fra
Format: epub
Tags: LITTERATURE GENERALE
Éditeur: Grasset
Publié: 2010-08-14T16:00:00+00:00


CHAPITRE IV

Nous ne comptions pas pour elle. Quand elle me caressait la tête, il n'y avait pas d'enfant sous la main de grand' mère : il n'y avait que des cheveux chauds. Ils auraient pu être artificiels et posés sur une bouillotte, ils auraient occupé ses doigts de la même façon.

Les murs de la maison occupaient ses yeux sans regard. On les aurait brusquement abaissés comme des parois de boîte pour la laisser devant des horizons illimités qu'ils se seraient occupés de la même façon d'horizons illimités.

Elle vivait parce qu'elle était bien élevée; l'habitude de l'usage du monde ; pour ne pas nous contredire ; elle faisait illusion; on s'y trompait– pas mon père. Il avait des tendresses désespérées de lit de mort - mais moi, Caille.

Il y avait au moins cinq ans que Caille nous aimait, mon père et moi. Je ne me souviens pas de ma mère. Je me souviens de Caille qui me faisait boire mon huile de foie de morue et me donnait une pastille de menthe. Je me souviens qu'elle me passait de la teinture d'iode sur la poitrine avec un petit pinceau souple. Mais elle prenait ses repas et elle couchait au département des femmes. Grand'mère s'aperçut tout de suite que la place de Caille était chez nous. Elle alla la chercher et l'installa. Il fallait être très habile pour s'apercevoir que tout cela était machinal. Elle ne se servit ni de son cœur, ni de sa raison, ni de son esprit. Ses jambes marchèrent dans le couloir, sa main prit la main de Caille, sa voix parla à mon père avec des mots dont l'ordonnance obligatoire n'eut jamais besoin d'un sentiment quelconque, et Caille put nous donner librement sa tendresse. Mais, pour grand'mère, Caille n'existait pas. Elle s'en servait comme on se sert d'échos, la nuit, dans la montagne, pour situer les profondeurs autour de soi.

Quand on avait compris le mécanisme qui organisait l'apparence de grand'mère, on voyait clairement qu'elle n'avait plus d'âme. Elle se comportait exactement comme une aveugle de naissance : Caille, par exemple, qui est bien obligée de composer avec des meubles, des bahuts, des chaises, des tables, des fenêtres, des portes, des escaliers, et s'en sert à peu près comme nous, mais, en réalité, habite un monde où ces objets ont une existence sans rapport avec leur existence réelle. Mais grand'mère était aveugle pour des choses de bien plus grande importance. Certes, pour Caille, quoiqu'elle prononçât les mêmes mots que nous et que, parfois même, elle allât jusqu'à dire par exemple : « le printemps, ou la prairie, ou la mer », on voyait bien que, pour elle, c'étaient des mots ayant des significations différentes de leur représentation réelle, Caille, sur le seuil de notre porte, qui, de haut, dominait le Vieux Port et tout l'ouest de la ville, disait : « La ville ! » Mais, s'il y avait un peu de vent du nord, son visage était tourné vers les collines d'Aubagne; s'il y avait un peu



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